L’organe adipeux: implications pour la prévention et le traitement de l’obésité
Auteur(s):
Saverio Cinti | |
Saverio Cinti is medical doctor and professor of anatomy in School of Medicine at University of Ancona. |
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Les adipocytes blancs
Les adipocytes sont caractérisés par l’abondance des gouttelettes lipidiques cytoplasmiques (1). Les adipocytes blancs présentent une grande gouttelette lipidique sphérique unique (adipocytes uniloculaires) qui domine sa morphologie générale. La taille de la cellule est étroitement liée à celle de la gouttelette lipidique. La taille de l’adipocyte blanc d’environ 60 à 70 µm chez la souris est supérieure de 30% chez l’homme. Le bord cytoplasmique mince contient des organites clairsemés, principalement des mitochondries allongées. La gouttelette lipidique est séparée du le cytoplasme par une ligne dense sans aspect structurel spécifique. Lors d’une lipolyse intense, des citernes endoplasmiques lisses sont souvent visibles en contact étroit avec les gouttelettes lipidiques. Le glycogène est généralement absent dans les gros adipocytes matures, mais souvent présent dans les petits adipocytes en développement (2, 3) et la lipofuscine est généralement présente chez les animaux âgés et chez les humains (4). Une membrane basale distincte, étroitement apposée sur la surface externe de la membrane cytoplasmique, entoure chaque adipocyte. Plusieurs vésicules picnocytotiques sont visibles à ce niveau Fig 2. La fonction des adipocytes blancs est complexe car elle inclut la sécrétion de plusieurs molécules importantes. Les principales molécules sécrétées sont des acides gras pour les besoins métaboliques de l’organisme dans les intervalles entre les repas, qui peuvent ainsi être prolongés de trois à quatre semaines. Cette propriété est d’une importance capitale pour la survie des mammifères dans des conditions où la nourriture n’est pas facilement disponible comme il y a un siècle, même dans les régions dites civilisées du monde. Une autre molécule importante sécrétée est une protéine appelée leptine (5). La leptinémie est corrélée à la quantité totale de graisse corporelle et constitue un signal important pour le système limbique qui incite les mammifères à rechercher de la nourriture. Des altérations génétiques de sa synthèse ou de son récepteur fonctionnel ont été identifiées chez la souris et l’homme (6). Ces sujets reçoivent un signal fort d’absence de réserve énergétique et leur comportement de personnes affamées est à l’origine d’une obésité morbide. L’absence de leptine fonctionnelle peut être corrigée par l’administration de protéines recombinantes. En quelques années les patients se rétablissent complètement de l’obésité (7). L’adiponectine est une autre protéine importante sécrétée par les adipocytes (8). Elle est très importante pour la condition métabolique. Elle est impliquée dans la régulation des taux de glucose et l’oxydation des acides gras (9). L’adipsine / facteur du complément D, est la première protéine décrite sécrétée par les adipocytes blancs, qui catalyse l’étape limitante de la voie alterne d’activation du complément (10, 11), mais sa fonction dans l’homéostasie énergétique et le métabolisme systémique est inconnue. Il est intéressant de noter que la leptine est positivement corrélée et que l’adiponectine et l’adipsine sont inversement corrélées à la graisse corporelle. Chez les mammifères obèses on trouve par conséquent des niveaux élevés de leptine et faibles d’adiponectine et d’adipsine. La résistance à la leptine des mammifères obèses empêche un contrôle positif de l’apport alimentaire (12) et les faibles niveaux d’adiponectine et d’adipsine pourraient contribuer au dérèglement métabolique des animaux et des humains obèses (13). De nombreux autres facteurs sont sécrétés par les adipocytes blancs (revus en (14)) qui permettent de considérer les adipocytes blancs comme des cellules endocrines importantes principalement impliquées dans l’homéostasie métabolique.
Les adipocytes bruns
Les adipocytes bruns sont plus petits que les adipocytes blancs, de forme d’ensemble à peu près polygonale. Le noyau est central et arrondi. Le cytoplasme contient plusieurs petites gouttelettes lipidiques (adipocytes multiloculaires) (voir Fig. 1 et 2) et de nombreuses mitochondries typiques : sphériques et garnies de crêtes laminaires. Une lame basale distincte entoure chaque adipocyte brun mais elle est interrompue au niveau des jonctions lacunaires qui couplent électriquement ces cellules (15). Les autres organites sont rares (16, 17).
© Pr S. Cinti
Figure 1: Microscopie électronique à balayage du tissu adipeux blanc (A) et du tissu adipeux brun (B). Echelle : 20 µm. C: Histologie et immunohistochimie montrant l’immunocoloration spécifique d’UCP1 du tissu adipeux brun interscapulaire. D : Détail du tissu adipeux brun interscapulaire montrant des formes transitionnelles brun blanc. L’immunocoloration d’UCP1 n’est présente que dans les adipocytes multiloculaires. A noter que l’immunocoloration n’a pas la même intensité dans tous les adipocytes multiloculaires (phénomène Harlequin (34)). WAT : tissu adipeux blanc. BAT : tissu adipeux brun. Echelle C et D : 50 µm.
© Pr S. Cinti
Figure 2: Microscopie électronique par transmission des adipocytes blancs et bruns. Notez les différences morphologiques entre les mitochondries (M) de ces deux types de cellules. Dans les adipocytes blancs sont également indiquées le noyau (N), les gouttelettes lipidiques (L), les vésicules picnocytotiques (V) et la membrane basale externe (BM). Echelle : 0,7 µm. Dans les adipocytes bruns sont indiqués le noyau (N) et certaines mitochondries (M). Echelle : µm 0,6. Source : Cinti S. « L’organe adipeux », Kurtis, Milan 1999.
Cette morphologie est donc bien différente de celle des adipocytes blancs et rend compte de leur fonction très différente, la thermogenèse. L’agencement multiloculaire des lipides crée une surface étendue à partir de laquelle une quantité considérable d’acides gras peut passer dans le cytoplasme lorsque la cellule est fonctionnellement activée. Les acides gras sont transportés dans les mitochondries pour leur bêta-oxydation, ainsi un gradient de protons est créé entre la membrane mitochondriale externe et interne.
La présence d’un protonophore appelé UCP1 (protéine de découplage 1) annule le gradient de protons. Ainsi, le seul résultat de l’oxydation massive des acides gras est la production de chaleur (18, 19). En raison de la quantité énorme de substrat et du grand nombre de mitochondries non couplées, la production de chaleur est environ 300 fois supérieure à celle produite par le métabolisme normal d’une cellule moyenne de l’organisme, ce qui est pertinent physiologiquement (20).
Ainsi, la seule similitude entre les adipocytes blancs et bruns consiste en la présence d’abondants lipides cytoplasmiques, d’où leur dénomination d’adipocytes. Néanmoins, les deux types de cellules partagent des propriétés inhabituelles telles que la capacité d’accumuler et de libérer des lipides. De plus, les deux sont pourvus d’un récepteur adrénergique spécial appelé beta3 (21), qui s’exprime exclusivement dans les tissus adipeux (22).
On a observé récemment que les adipocytes bruns ont des propriétés endocrines : ils sont capables de produire et sécréter des hormones (bétatrophine) et des facteurs de croissance (FGF21). La bétatrophine agit sur les îlots pancréatiques et favorise la prolifération des cellules bêta (23). Le FGF21 est un régulateur important du métabolisme du glucose et des propriétés plastiques des tissus adipeux (24, 25) (voir ci-dessous).
Tissu adipeux blanc (WAT)
Les adipocytes blancs sont organisés pour former le WAT (figure 1). Bien qu’environ 90% du volume tissulaire soit dû aux adipocytes, ils n’y représentent qu’environ 30 à 40% des cellules (26). Le reste est dû aux structures vasculaires et nerveuses, cellules interstitielles parmi lesquelles on retrouve fréquemment les fibroblastes, les macrophages, les mastocytes, les lymphocytes et les préadipocytes. Les préadipocytes sont présents dans le tissu adipeux blanc y compris chez les personnes âgées et se caractérisent par leur connexion étroite avec la paroi des capillaires, leur petite taille, leur rapport nucléo-cytoplasmique élevé et une membrane basale (1, 3).
Les organites cytoplasmiques sont représentés par quelques organites parmi lesquels on trouve souvent du glycogène et quelques très petites mitochondries. Au cours du développement, plusieurs étapes intermédiaires sont visibles et les préadipocytes blancs prennent un aspect uniloculaire même dans de très petites cellules. Le principal aspect développemental reste l’augmentation progressive de la taille jusqu’à la moyenne caractéristique du dépôt de graisse spécifique (3, 27). Les nerfs sont principalement formés par des faisceaux étroitement liés au système vasculaire, mais les nerfs parenchymateux sont rarement observés. Ces derniers sont souvent myélinisés (donc probablement sensibles) et l’immunohistochimie a montré la présence de CGRP, SP (28). L’innervation se développe lors du jeûne (29). Dans cette situation, on trouve des fibres noradrénergiques parenchymateuses en contact étroit avec les adipocytes.
Tissu adipeux brun (BAT)
Les adipocytes bruns sont organisés pour former le BAT (figure 1). La composition parenchymateuse du BAT est similaire à celle du WAT et, encore une fois, environ 30 à 40% du parenchyme est composé par d’autres types de cellules (30). L’aspect principal du BAT type est la présence d’un réseau capillaire très dense (environ six fois celui du WAT (16)) et d’une innervation parenchymateuse dense (28, 31). Chaque adipocyte brun est en contact étroit avec les capillaires et, souvent, les fibres noradrénergiques parenchymateuses atteignent la membrane plasmique des adipocytes bruns (1, 16).
Cette innervation et les jonctions lacunaires reliant les adipocytes bruns, sont très importantes pour la régulation neuronale serrée de la thermogenèse du BAT (19). Les mastocytes sont également très fréquemment retrouvés dans le BAT (32), mais leur fonction est encore inconnue même si la présence de récepteurs H3 sur les cellules endothéliales des BAT est abondante et suggère leur rôle dans la thermogenèse (33). La densité vasculaire élevée est liée à deux raisons fonctionnelles principales : le besoin d’oxygène pour une bêta-oxydation intense et l’élimination rapide de la chaleur du tissu. L’excès de chaleur dans les adipocytes bruns activés de manière aiguë pourrait être responsable du phénomène Arlequin (34). Ceci consiste en ce que l’immunocoloration UCP1 dans cette condition donne une image de taches rappelant en quelque sorte le classique masque d’Arlequin (1). Dans les mêmes adipocytes bruns fortement colorés à l’UCP1 nous avons montré la présence de la protéine du choc thermique qui pourrait réguler de façon négative ce gène afin d’éviter les dommages cellulaires dus à la chaleur (34). Ainsi, la MTD activée de manière chronique, montre des niveaux inférieurs d’intensité de coloration diffusée de manière homogène dans le tissu. Les mécanismes responsables de la transition d’Arlequin à l’activation diffuse UCP1 sont encore inconnus.
Le concept d’organe adipeux
L’anatomie définit comme un organe toute structure dissécable composée de deux ou plusieurs tissus dans un but finaliste collaboratif. Le WAT et le BAT sont contenus dans des structures dissécables, appelées dépôts graisseux, de forme bien définie et largement distribuées dans l’organisme des mammifères (35-37). Deux sites anatomiques principaux contiennent des dépôts graisseux : les compartiments sous-cutanés et du tronc( Fig 3). Le compartiment sous-cutané est situé sous la peau. Chez les petits mammifères, la graisse sous-cutanée est limitée à deux dépôts situés à la racine des pattes avant et arrière (dépôts de graisse sous-cutanés antérieurs et postérieurs). Chez l’homme, ce dépôt occupe la majeure partie de l’espace sous-cutané, mais chez la femme, il est abondant au niveau des seins et de la zone fessière-fémorale. Le tronc contient des dépôts thoraciques et abdominaux (graisse viscérale). Le dépôt thoracique entoure le cœur, l’aorte et ses branches principales.
© Pr S. Cinti
Figure 3: Organe adipeux de souris femelles adultes. Notez que les zones blanches et brunes sont visibles dans les dépôts sous-cutanés et viscéraux dans le tissu adipeux de la souris acclimatée au chaud (28 °C, 10 jours). Chez la souris acclimatée au froid (6 °C, 10 jours), les zones brunes s’étendent à presque toutes les zones de l’organe (brunissement). Echelle : 1cm. Les petits dépôts tels que les dépôts omental (39), cuisse et poplité (62) ne sont pas représentés ici.
L’abdomen contient des dépôts intrapéritonéaux et rétropéritonéaux (38). Les dépôts intra-péritonéaux se trouvent surtout dans l’épiploon (présent, mais petit chez la souris (39)) et le mésentère. Certains auteurs appellent ces deux dépôts des dépôts viscéraux, car ils drainent leur sang dans la veine porte et cela peut être important pour certains aspects cliniques liés à l’accumulation de graisse viscérale (40). Nous préférons utiliser le terme viscéral pour toutes les graisses du tronc, quel que soit leur drainage sanguin, pour souligner la position anatomique et en raison des découvertes les plus récentes sur pathogenèse des problèmes cliniques liés à l’accumulation de graisse viscérale (39, 41).
Chez les petites souris mâles, un autre dépôt cohérent et largement étudié est contenu dans un sac péritonéal lié à l’épididyme (dépôt épididymaire). Les dépôts rétropéritonéaux sont surtout situés entre le péritoine pariétal et la paroi antérieure (petit) ou postérieure de l’abdomen et dans le bassin. Ceux en contact avec la paroi postérieure de l’abdomen sont étroitement liés à l’aorte et à ses branches principales, formant ainsi un dépôt périrénal-rétropéritonéal. La graisse pelvienne chez les souris femelles forme une structure unique que nous avons appelée dépôt abdomino-pelvien (17, 36, 37). Il se compose de parties périrénales, périovariennes, parautérines et périvéscicales et en continuité avec le dépôt thoracique périaortique au niveau du hiatus aortique du diaphragme. Une caractéristique importante du concept d’organe adipeux est l’histologie : le WAT et le BAT sont les deux principaux tissus parenchymateux contenus ensemble dans l’organe.
Même si l’on considère l’organisation multi-dépôts de l’organe adipeux murin, la composition mixte peut être trouvée dans la plupart des dépôts sous-cutanés et viscéraux. Bien sûr, le WAT se trouve dans les parties blanches et le BAT dans les parties brunes de l’organe. En effet, les adipocytes blancs et bruns tirent leur nom de ces couleurs en raison de la composition intrinsèque des cellules et des tissus : surtout des lipides pour le blanc et des mitochondries et des vaisseaux pour le brun. La quantité relative de BAT et de WAT dans l’organe adipeux est variable et dépend surtout du patrimoine génétique, de l’âge et des conditions environnementales.
De nombreux autres sites anatomiques contiennent une petite quantité d’adipocytes blancs, tels la moelle osseuse, la peau (graisse dermique), les glandes parotides, les parathyroïdes, les ganglions lymphatiques, les muscles squelettiques, la cavité orbitaire et les gaines synoviales. Les propriétés des adipocytes dans ces organes sont largement inconnues.
La plasticité de l’organe adipeux
Les animaux et les humains exposés au froid augmentent la quantité relative de BAT dans les organes adipeux et les zones blanches se transforment en zones brunâtres (42-45) Fig 3. Chez les petits animaux, ce phénomène est appelé brunissement et il peut également être obtenu par l’administration d’agonistes bêta3 (43) ; nos études et d’autres suggèrent que ceci est dû à la conversion directe (transdifférenciation) des adipocytes blancs en adipocytes bruns (43, 46, 47). Ce phénomène est fortement régulé par le système nerveux sympathique avec ramification des fibres parenchymateuses noradrénergiques et corrélation positive entre la densité de ces fibres et le nombre d’adipocytes bruns dans la plupart des dépôts sous-cutanés et viscéraux (36, 37).
Le manque de récepteurs adrénergique beta3 réduit fortement le phénomène (48). Des récentes études de marquage de lignées ont confirmé ce phénomène (49-51), mais soulignent aussi qu’il est accompagné par l’apparition d’une nouvelle population d’adipocytes bruns (50). Certains auteurs considèrent que ces adipocytes bruns nouvellement apparus sont différents de ceux présents dans les dépôts BAT classiques (zone interscapulaire) et différents noms ont été proposés : beige ou brillant (52, 53). Les arguments utilisés pour justifier ces différents noms sont principalement ontogénétiques et de signature génétique. Nos travaux récents ainsi que d’autres études sur l’origine des adipocytes bruns et blancs suggèrent que les cellules endothéliales des tissus adipeux sont la source des préadipocytes blancs et bruns (54, 55), bien que d’autres auteurs n’aient pas été en mesure de confirmer cette lignée, du moins pour le adipocytes blancs (56). On ne sait pas quelle est l’origine des cellules endothéliales capables de se développer en préadipocytes.
Un article très récent suggère une origine mésothéliale pour les adipocytes viscéraux (57). Il reste à établir si les adipocytes de type brun apparaissant dans le WAT lors du brunissement sont vraiment bruns ou non. À ce jour, aucune donnée ne montre que les adipocytes multiloculaires immunoréactifs UCP1 des parties brunes de l’organe adipeux qui, dans des conditions chaudes, sont principalement composés de WAT, ont une fonction différente de ceux de la zone interscapulaire lorsqu’ils sont étudiés in vivo au niveau cellulaire. Par ailleurs, nous devons souligner que le brunissement s’accompagne d’une thermogenèse accrue avec tous les effets bénéfiques de l’activation du BAT interscapulaire classique (58, 59).
En fait, le brunissement est bénéfique car le BAT prévient l’obésité et les troubles associés (23, 60-65). Ainsi, le brunissement de l’organe adipeux pourrait être une stratégie importante pour prévenir ou traiter l’obésité et ses troubles associés, quels que soient les adipocytes multiloculaires immunoréactifs UCP1 nouvellement apparus : bruns (notre préférence), beiges ou brillants. Cette plasticité pourrait expliquer la coexistence normale des adipocytes blancs et bruns dans la plupart des dépôts d’organes adipeux : lors d’une exposition chronique au froid, les adipocytes blancs se transforment en adipocytes bruns pour contribuer à la thermogenèse et inversement, en cas de bilan énergétique positif chronique, les adipocytes bruns se transforment en adipocytes blancs et offrent une plus grande capacité de stockage d’énergie (66-68). Conformément à cette théorie, les animaux obèses ont un blanchiment des parties brunes de l’organe adipeux. Ainsi, ces cellules sont capables de reprogrammer leur ADN afin de distribuer de l’énergie vers des fonctions essentielles à la survie : la thermogenèse ou le métabolisme général.
Les adipocytes roses
Afin de trouver des preuves supplémentaires de la transdifférenciation physiologique réversible, nous avons exploré l’organe adipeux dans d’autres conditions physiologiques et avons constaté qu’un phénomène frappant de transdifférenciation adipo-épithéliale réversible se produit dans l’organe adipeux de souris femelles pendant les stades de grossesse-lactation et post-lactation. Chez la souris adulte vierge, les cinq glandes mammaires bilatérales correspondent à tous les dépôts sous-cutanés (figure 4).
© Pr S. Cinti
Figure 4: Organe adipeux d’une souris femelle adulte au 14ème jour de lactation. Notez la transformation anatomique des deux dépôts sous-cutanés (comparer avec la figure 3). De: Cinti S. « L’organe adipeux » Kurtis, Milan 1999.
Un réseau de canaux épithéliaux ramifiés se terminant par trois mamelons bilatéraux infiltre le dépôt antérieur. Le dépôt postérieur est également infiltré par un réseau similaire mais se termine dans deux mamelons bilatéraux. Ainsi, en général, dix glandes mammaires sont considérées : six dans le dépôt sous-cutané antérieur et quatre dans le dépôt sous-cutané postérieur. Le composant lobulo-alvéolaire (ou alvéoles) de la glande est absent en dehors des périodes de grossesse et d’allaitement. Pendant la grossesse, une alvéologénèse progressive se développe en deux étapes principales: précoce et tardive. L’alvéologénèse précoce (10ème-15ème jour) est caractérisée par la formation d’alvéoles étroitement liées aux canaux. Les cellules épithéliales formant ces alvéoles ne contiennent pas de gouttelettes lipidiques en microscopie optique. L’alvéologénèse tardive (14 ème – 20 ème jour) est caractérisée par des alvéoles formées par des cellules épithéliales contenant de grandes vacuoles lipidiques cytoplasmiques. Nous avons appelé ces cellules adipocytes roses (figure 5) car ce sont des cellules parenchymateuses d’organe adipeux contenant de grosses gouttelettes lipidiques cytoplasmiques, avec une fonction spécifique : la production de lait (69). Le rose est la couleur des glandes mammaires pendant la grossesse et le symbole du sexe féminin. A noter que, parallèlement à l’alvéologénèse progressive, les glandes mammaires perdent progressivement la plupart des adipocytes. Nous avons montré avec différentes techniques, y compris des expériences de traçage de lignées et d’explants, la transdifférenciation blanc-rose-blanc, offrant ainsi un nouvel exemple de phénomène de transdifférenciation réversible physiologique dans l’organe adipeux (70-72).
Ce type de transdifférenciation est aussi lié au rôle général de de l’organe de répartition de l’énergie, dans ce cas particulier la survie des petits. Le tissu adipeux semble donc jouer un rôle central dans le maintien de l’homéostasie à court et moyen terme.
© Pr S. Cinti
Figure 5: Histologie et immunohistochimie de la glande mammaire de souris femelles adultes. Les alvéoles composées d’adipocytes roses sont absentes chez les souris vierges (A) et apparaissent dans la seconde moitié de la gestation (B). Les adipocytes roses (C et D) sont immunoréactifs pour le facteur de transcription clé de l’alvéologénèse ELF5 dans les noyaux (C) et pour la protéine de lait WAP (protéine acide du lactosérum) dans le cytoplasme (D). Echelle : 50 µm en A et B, 12 µm en C et D.
L’organe adipeux obèse
En 2004, deux groupes américains ont simultanément découvert que le tissu adipeux obèse de souris et humain est infiltré par des macrophages. Ils ont noté que cette infiltration coïncide avec l’apparition d’une résistance à l’insuline et que la majeure partie des TNFα, IL6 et NO sont présents dans la fraction stroma-vasculaire (contenant de petites cellules pauvres en lipides, y compris les macrophages) et non dans la fraction flottante (contenant des adipocytes matures) du tissu obèse (73, 74). Ces résultats cumulés ont mis en évidence l’importance de l’infiltration macrophagique dans la relation entre obésité et insulinorésistance, prélude au diabète de type 2. Nous avons découvert que les macrophages infiltrent la graisse obèse pour éliminer les débris des adipocytes morts (75).
La grande majorité des macrophages actifs forment des structures en forme de couronne (CLS) entourant la gouttelette lipidique résiduelle de l’adipocyte morts (Fig 6).
© Pr S Cinti
Figure 6: Histologie et immunohistochimie des structures en forme de couronne (CLS) (astérisques) dans la graisse blanche de souris obèses. A : tissu inclus en résine, coloration au bleu de toluidine montrant des macrophages entourant une gouttelette lipidique. B : immunocoloration de la perlipine. Ce marqueur d’adipocytes vivants est absent dans les CLS. ADRP (C) et MAC2 (D) sont des marqueurs des macrophages actifs. Echelle : 15 µm en A et 25 µm en B-D. Source: Cinti S, Obesity and Metabolism 2: 95-103, 2006.
Les macrophages sont souvent fusionnés en syncytium (comme ceux des réactions à corps étrangers) et présentent des caractéristiques en microscopique électronique suggérant qu’ils réabsorbent le remnant de gouttelette lipidique de façon active (39, 76). Un modèle transgénique dans lequel la mort adipocytaire spécifique est inductible a confirmé que les CLS sont formées dans tous les adipocytes morts (77). La disparition des adipocytes semble être la cause de leur mort car les souris dépourvues de lipolyse (HSL-KO) sont maigres mais leurs adipocytes sont très hypertrophiques et présentent la même densité en CLS que celle du tissu adipeux obèse (75). Les adipocytes obèses présentent une série d’altérations des organites visibles au microscope électronique, notamment des dysmorphismes mitochondriaux, une dilatation du réticulum endoplasmique rugueux, des dépôts de calcium, une hypertrophie l’appareil de Golgi, une accumulation de glycogène et de rares cristaux de cholestérol. La plupart de ces altérations © Pr S Cinti 13 peuvent provoquer des DAMPS (damage associated molecular patterns, modèles moléculaires associés aux lésions) susceptibles d’activer l’inflammasome NLRP3 via l’activation d’une caspase 1 spécifique déterminant de l’IL-18 et de l’IL 1β qui induisent la mort cellulaire par pyroptose (78); nous avons donc étudié la caspase 1 spécifique et avons trouvé une immunoréactivité intense dans le cytoplasme des adipocytes obèses et non dans les adipocytes maigres témoins. De plus, la caspase 1 était absente dans les adipocytes mourant par apoptose induite chez les souris transgéniques, confirmant ainsi que les adipocytes hypertrophiques obèses meurent de pyroptose (79).
L’obésité viscérale est plus pathogène que l’obésité sous-cutanée et la densité de CLS chez les souris soumises à un régime riche en graisses est plus élevée dans la graisse viscérale que dans la graisse sous-cutanée. Nous avons constaté que la densité de CLS, chez les souris avec obésité génétique est corrélée de façon positive avec la taille des adipocytes dans la graisse viscérale et sous-cutanée, mais supérieure dans la graisse viscérale malgré sa plus petite taille (39). Ainsi, l’indice CLS (densité CLS / surface adipocytaire moyenne) est quatre fois plus élevé dans la graisse viscérale que dans la graisse sous-cutanée chez les souris db/db (obèses diabétiques). Ces données fournissent une explication à la pathogénicité bien connue de l’accumulation de graisse viscérale (40). Dans ces conditions, il est intéressant de constater que l’expression forcée de PRDM16, un facteur clé de transcription du brunissement, induit un brunissement prédominant dans la graisse sous-cutanée avec toutes ses conséquences bénéfiques (58). La délétion de ce gène spécifiquement dans la graisse induit une transformation de la graisse sous-cutanée en viscérale avec toutes ses conséquences pathogènes (80). Ainsi, une induction pharmacologique des facteurs de brunissement pourrait être utilisée dans des futures stratégies non pas nécessairement pour induire un véritable brunissement, mais juste pour faciliter la transformation des adipocytes de l’organe adipeux en cellules bénéfiques brunissant plus facilement.
Remarques conclusives
En conclusion, la leçon de l’anatomie de l’organe adipeux suggère un nouvel angle d’approche pour l’avenir de la biologie cellulaire et ouvre de nouvelles perspectives préventives et thérapeutiques de maladies importantes et épidémiques tels le syndrome métabolique et les cancers du sein. Comprendre les mécanismes moléculaires sous-jacents aux phénomènes physiologiques de transdifférenciation réversible de cet organe pourrait aider à la découverte de nouvelles cibles pour des médicaments capables de moduler le phénotype et la physiologie de la cellule mature.
Acknowledgments
Avec le soutien de la convention de subvention du 7e PC de l’UE HEALTH-F2-2011-278373 à SC
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